Il y a quelques jours, j’ai eu La chance d’interviewer Sandra Russo pour mon blog. Artiste, cheffe d’entreprise, femme engagée, Sandra a un franc-parler qui me touche tout particulièrement. A bâtons rompus, il a été question tant de son travail que des paradoxes de la société haïtienne, ou encore de questions d’écologie.
J’ai rencontré Sandra en 2016, dans son atelier de Delmas (Haïti). Nous avions sympathisé ; depuis, son atelier Sandilou textile est devenu partenaire du projet Label Créole ; nous échangeons de temps en temps lorsque je lui passe une commande ou qu’elle me demande comment ses créations sont reçues en Belgique… Mais pour connaître vraiment quelqu’un, pour l’approcher réellement, j’ai besoin de temps. De beaucoup de temps de parole et de silence ! C’est comme ça, je suis lente à l’apprivoisement -et je l’assume.
Notre entrevue a été une excellente occasion de mieux faire connaissance. Même si elle était sur ma « to do list » depuis longtemps, l’interview s’est décidée quasiment du jour au lendemain. Quelques échanges WhatsApp pour trouver un créneau, et hop ! Sandra me donnait rendez-vous samedi dernier, à 10h du matin, heure d’Haïti. Bientôt je partagerai avec vous cette interview, via le blog du Label Créole. Mais il faut d’abord que je me la repasse en boucle, que je me l’approprie pour la remettre en forme car nous sommes « parties dans tous les sens »… Et c’était dense.
Un point en particulier me fait beaucoup réfléchir. Sandra me faisait remarquer que, trop souvent, les Haïtiens ne s’aiment pas assez, ne se mettent pas convenablement en valeur, ne croient pas suffisamment en eux-mêmes, que malgré des discours extérieurs qui vantent les beautés de l’île (sur les réseaux sociaux, à l’étranger, dans la diaspora, etc.), au quotidien en Haïti l’on n’a pas assez conscience de ses talents, de ses capacités. Comme un manque collectif de confiance en soi…
Sandra me disait rêver de campagnes officielles dans tout le pays qui rappelleraient à toute la population que : « Nou bèl », « Nou kapab », « Nou vanyan », « Nou merite plis » (« Vous êtes beaux, capables, courageux, vous méritez plus »). J’adore l’idée ! Imaginez de grandes affiches partout sur l’île, une vraie propagande d’auto-revalorisation. Ça ne résoudrait évidemment pas les problèmes par magie, simplement ça nous donnerait à réfléchir autrement.
Cette réflexion vient alimenter ma remise en question du projet Label Créole. A l’origine, j’ai lancé ce projet « sur le mode réactif » : depuis mon enfance en Haïti, puis mon installation en Belgique, mes différents voyages… Affronter les questions ignorantes ou condescendantes sur Haïti m’agace. Alors je réagis. J’ai toujours eu envie de crier au monde à quel point Haïti ne se résume pas aux images négatives véhiculées dans les médias, voire par toute une série d’ONG. Je veux montrer ce qu’Haïti produit de beau, outre sa littérature déjà mondialement reconnue. J’adore l’étonnement des personnes qui s’arrêtent à mon stand, j’adore voir mes clients emmener un bout d’Haïti avec le sourire, je me dis que c’est ça de gagné pour tisser des liens plus nuancés entre ici et là-bas ! Je veux qu’Haïti plaise, séduise, attire les autres comme elle m’envoûte, moi. Le projet Label Créole est une réaction au pessimisme horripilant.
Mais est-ce que j’aime correctement Haïti ? Quand je ressasse les aberrations de la politique haïtienne, quand je me passe en boucle tout ce qui empêche la société haïtienne de progresser, j’ai bien conscience de tout ce que nous foirons depuis des générations. Et je dis « nous » parce que d’une manière ou d’une autre, en étant du même bateau, nous en sommes tous responsables !
Quand je pense à ces sujets-là, quand j’enrage sur tout ce que nous gaspillons comme ressources et comme talents, est-ce que montrer l’Haïti séduisante et attractive est pertinent ? Comment se montrer aimable lorsqu’on ne s’aime pas assez soi-même, me demandait Sandra ? C’est valable pour un peuple comme pour un individu.
Il y a des jours où je me dis que faire ma part de colibri* est mieux que rien, et d’autres où je panique face à l’ampleur du chantier. Je sais que je ne suis pas la seule à qui ça arrive.
Allez, on relève la tête et on tient ferme ! Wi, nou bèl, nou kapab, nou vanyan, nou merite plis.
Marie-Lou Nazaire
* Selon une légende amérindienne, alors qu'un incendie ravageait la forêt, seul un colibri se mit à aller chercher de l'eau, goutte par goutte, avec son bec, pour éteindre le feu. Les autres animaux, figés par la peur, lui disaient qu'il était fou, qu'il n'arriverait jamais à éteindre comme ça un si grand feu. Ce à quoi le colibri rétorqua : « Je le sais bien, mais je fais ma part...». Et il montra l'exemple à tous les autres, qui se mirent au travail à leur tour.
Sandra Russo peignant à son atelier de Delmas (Haïti). © SANDILOU Textile
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Alexandra (mercredi, 07 août 2019 09:08)
Merci du partage!
Christiane (mercredi, 07 août 2019 09:11)
Une bien belle lettre Marie-Lou ! Je comprend ton amour pour Haïti dont tu portes une belle bouffée, même si j'ai peur que ton "commerce" vienne 10 ans trop tard ! Le monde a changé. L'illusion d'abondance infinie n'est plus et chacun est amené à compter, a devoir choisir ici aussi et c'est bien. La Terre n'en peut plus !
Label Créole c'est ton rayon de soleil, ton lien avec là bas et qui fait avancer les choses rien qu'à voir les personnes avec lesquelles tu tisses des liens, félicitations, OUI , 100 x Oui : Wi, nou bèl, nou kapab, nou vanyan, nou merite plis ! Longue vie à Label Créole.
Hélène (mercredi, 07 août 2019 21:49)
Merci pour cet article coup de cœur, coup de poing et droit d'humanité ;).
J'ai été attirée par le titre et malgré tous les mails prioritaires, c'est celui-là qui a été prioritaire pour moi ce soir !!
Je note le week-end des 28 et 29 septembre aux fêtes romanes, c'est tout près de chez moi - et j'aime voir les choses en live.
Merci pour l'énergie de la rage mais aussi du "eh, y a pleins de trucs supers qu'on peut faire !! et on en est capables :) "